vendredi 30 septembre 2011

La beauté sous le défaut IV

Un jour, j’ai eu le droit à ce divin sourire dont j’ai déjà tant parlé. Kolaap était très belle et je me suis permis de le lui dire. Elle m’a répondu « Les asiatiques ne sont pas très attirantes ». La beauté ? Juste sous le défaut vous dis-je, juste dessous.

Le musée

Que laisserons-nous au musée
De nos vies évaporées
Une machine à caca
Oh mon dieu, n’y pensons pas
Goûtons dans le musée Guimet
La promenade de nos pensées
Glissant sur les lèvres des bouddhas
Dans la danse des Apsaras
Dont nous retrouverons l’harmonie
Dans la beauté de nos amies.

Je prends le pari vu le lien de la norme du beau - qui n'a rien à voir avec le beau lui-même - à l'argent que les plus grands top models seront demain asiatiques. Des caucasiennes se feront brider les yeux, comme nous voyons l'inverse aujourd'hui et nous reparlerons du temps où les peintres persans traduisaient la perfection en représentant les femmes identiques aux femmes de Khans les gouvernant. Ainsi va le monde.

vendredi 23 septembre 2011

Les mâles

Il serait trop long de citer toutes les goujateries que j’ai entendues dans ma vie, ni même certainement celles que j’ai dites. Je me souviens qu’adolescent je me protégeais à l’aide de mes facilités scolaires et plus particulièrement de mon savoir littéraire qui certes n’a rien d’exceptionnel mais est suffisamment étendu pour impressionner un homme commun. Ma seule différence d’avec celui-ci, c’est que nos mémoires ne sont pas encombrées des mêmes choses, résultats de foot – caricaturons un peu - ou sonnets. Ainsi vis-à-vis des femmes, j’ai caché un certain temps mon appréhension de l’inconnue à l’aide de phrases stupides trouvées dans un dictionnaire « philosophique » du style : « la femme est un animal sans fourrure mais dont la peau est très recherchée » citation d’un grand homme de lettres du XIXe siècle qui aurait certainement mieux fait d'aller boire une bière. J’ai arrêté ce jeu très amusant et tout à fait toléré par les françaises quand j’ai rencontré des féministes allemandes dont les histoires ne m’ont plus du tout fait rire. Et j’ai pu par la suite en vérifier par l’expérience de collègues, d’amies proches, de ma femme, la véracité.
« On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » disait Desproges, et effectivement une blague juive racontée par Michel Boujenah est drôle, la même dite au premier degré par un néo-nazi est immonde. Sur le machisme, on ne peut pas en rire avec grand monde. Quand un ostracisme nous imprègne tant qu’on ne le voit même plus tant il nous paraît naturel, le rire n’est en rien libérateur, au contraire, il ne fait qu’entretenir les préjugés. Il n’est plus rire, il n’est que ricanement.
Le machisme est une plaie infecte de notre société, d’autant plus répugnante qu’il touche les êtres que nous aimons le plus au monde, nos femmes, nos mères, nos filles. Permettez que je me déclare humaniste en formation – c’est une route qui n’a pas de fin – de la sous-classe des féministes :

Œuvre d’art

Les femmes sont des œuvres d’art
Avec juste un peu de fard
De tissus, de plumes et de pierres
Elles parlent une langue imaginaire,
Comme des enfants malicieux
Qui se prendraient trop au sérieux.
Art pop, chrétien ou art d’élite
Bimbos, Marie ou Aphrodite
Sur l’écho de leurs images
Je m’offre souvent des voyages,
Des visites de musées
Ému mais parfois amusé.
Pointes ou talons aiguilles
Santiags, mules ou espadrilles,
Fichus, ceintures ou foulards,
Ce que leurs vêtements sont bavards
Sur ce qu’elles sont, ce qu’elles veulent être,
Ce qu’elles furent ou ce qu’elles vont faire,
En vieux français ou en verlan
Avec humour ou sans accent
Même des plus vieilles légendes
Il arrive que j’en redemande.
Et tant pis si ma traduction
Est pleine d’approximations
Si comme sur les vitraux
Je confonde Cluny et Cîteaux,
Pour peu que dans le tour du cloître
Mon esprit s’amuse et folâtre,
Et finisse par s’échapper
À travers la voûte étoilée.
 

jeudi 22 septembre 2011

La beauté sous le défaut III

C’était gentil de la part de mon ami de m’apprendre tant en si peu de mots (cf. "la beauté sous le défaut" précédent). Rien que de très simple, mais je ne suis pas très malin, le nombre de mots qu’il me faut brasser pour comprendre ce que tant savent déjà d’éducation et dont j’ai ri –Ah le poème « le don du sourire » sur un papier incrusté de fleurs séchées, dans des cuisines où l’on souriait si peu. Quelle valeur pouvait donc avoir le sourire de Kolaap pour illuminer mes collègues, petits miracles que j’ai vu se reproduire quelques fois. Parmi toutes ces choses sans valeur, j’en cherchais une dans notre culture et associée au « bonjour » : j’ai trouvé la poignée de main. Cette poignée de main si peu hygiénique que la prochaine grippe aviaire remisera peut-être aux habitudes d’un autre temps. Ma femme qui travaille à l’hôpital ne serre déjà plus les mains. Cette poignée de main manque terriblement quand elle est attendue et qu’elle n’y est pas. Un petit geste de politesse, de politesse – polis (la cité), d’urbanité – Urbis (la vile), civilité – civis (la cité) à opposer au rustre – rus, la campagne, où l’effort qu’est la politesse, est inutile car l’éloignement suffit à nous préserver du conflit, de la pire des guerres, la guerre civile, celle qui nous oppose à nos frères comme des Abels et Caïns antiques mais toujours présents en nous, car la famille est toujours aujourd'hui le premier lieu de la violence.

À me promener ainsi dans le vocabulaire, de civilité, j’ai sauté gaîment à la civilisation, à la culture, celle de Kolaap venue du pays du sourire où même les Dieux sourient. Quels idiots ces Dieux à sourire sans raison. En tous cas c’est ce que j’avais appris, toute chose faite sans raison est idiote puisqu’elle n’a pas de raison. Néanmoins il est difficile à moins d’être d’une arrogance démesurée de balayer une civilisation d’un revers de préjugé. J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet et je n’ai rien trouvé, jusqu’au jour où j’ai fait l’expérience de sourire pour rien, sans raison, comme un con, seul dans ma voiture. Bizarrement la vie est devenue un peu plus agréable, le monde était le même mais sous mon sourire, ma vision avait changé. Comme si l’esprit et le corps était lié mécaniquement, être heureux amène le sourire mais le sourire amène aussi à être heureux davantage. C’était d’une puissance mesurée, comme de lever les yeux au ciel, de prier – oui malgré mon doute profond sur l’infaillibilité de l’église et de Benoît XVI, il m’arrive de prier, pour occuper mon esprit et m’éviter de ressasser vainement et sans fin des idées angoissantes. Efficace mais mesuré.

Pas de quoi faire un poème. Pourtant un jour, j’étais avec mon petit garçon qui avait un an et demi et qui est malade : retard de développement moteur d’origine inconnue. En quelques mots, il ne marchait pas, il ne parlait pas, et je le faisais travailler, à genoux, pas après pas avec ses pieds qui partaient dans tous les sens. Pas très euphorisant comme situation. Et ce samedi-là fut plus dur encore que d’habitude, j’étais fatigué de ma semaine, je ne voyais pas de progrès, c’était désespérant, j’étais désespéré mais je ne voulais pas craquer devant mon fils, si petit et si courageux. Prier ? ce n’était pas qu’une idée, c’était une immense lassitude au goût de terre humide et froide. Regarder le ciel, j’étais dans mon salon. Alors j’ai essayé ce petit truc que m’avait confié le Bouddha, ce niais qui sourit tout le temps même dans la mort, par l’intermédiaire de Kolaap, sans y croire. Mais pire encore qu’un sourire sans raison, c’était un sourire faux comme pas un, aux antipodes de ma pensée et un sourire sans valeur… et … et …et j’ai illuminé mon fils et l’amour que m’a renvoyé cet enfant qui voyait là un signe d’encouragement et de fierté de son père dans cet instant aussi désagréable pour lui que pour moi, était d’une force incroyable. La lumière de ses yeux amoureux a tout balayé. La peur, la lassitude et le goût de terre.

Ce jour-là, j’ai appris qu’il fallait savoir sourire sans raison pour avoir des raisons de sourire. 


Laudamus
     
Kolaap.
Ton regard
Comme un glyphe noir
Un point d’interrogation tracé
Sur un fin papier froissé.

Tes yeux fendus
De peu il s’en fallut
Qu’hélas  je ne m’y arrête
Et que le papier ne jette.

Tes yeux fendus
Me croiras-tu, je les ai vus
Enluminés sur les Corans
D’Iran.

Comment ce signe
Aile d’un cygne
Si loin m’emporte
Quand mon regard s’y porte.

Quelle magie est la tienne
En quelle langue magicienne
Sont donc écrits
Ces traits d’esprit.

Comment aurais je su
Que ton regard fendu
Était écrit
En sanskrit.

Dans la pierre
Dans l’écho des prières
Dans l’encens des temples
Ta beauté se contemple.

Comme toi
Malgré la mort des rois
Sur les murs d’Anghkor
Bouddha sourit encore.

Sourire toujours
Même le cœur lourd
Rendre aérien
L’esprit chagrin.

Au divin livre
De ton sourire
J’ai pris, je le confesse
Ma plus belle leçon de sagesse.

Kolaap
Et chaque fois
Que je te vois
Je me repais
De paix.

mardi 20 septembre 2011

Accueil

Je ne suis pas le seul sensible à la beauté de l’accueil, au caractère divin de la fraternité. Une de mes amies me racontait l’illumination qu’elle avait eue à Taizé-rassemblement œcuménique bourguignon - suite à l’accueil qu’elle y avait reçu de la part d’un homme, guide spirituel de son époux, qu’elle ne connaissait que de nom. Dans son discours, cet homme semblait lui aussi incarner plus que lui-même :

Incarnation

Il m’attendait sans me connaître
Il m’accueillit dans un sourire
Je me suis sentie renaître
Dans ses bras qu’il venait d’ouvrir.

J’étais dans ses yeux de lumière
Rien de moins, d’autre que moi-m’aime
Je ne savais plus mes prières
Mais les louanges venaient sans peine.

Sa lumière en moi comme un écho
Traquait l’ombre et la dissipait
Quand elle irradia de ma peau
Je n’étais plus que joie et paix.

Au matin, une aube nouvelle
Au ciel vint le remplacer
Et j’acceptais calme et sereine
Que le soleil vint le délasser.

Souvent je doute des miracles
Quand je perds ma sérénité
Oubliant que le miracle
Est que L’instant a existé.

vendredi 16 septembre 2011

Sacralisons nos vies de tous les jours

Hier ma femme a cassé son couteau économe. « Tu ne peux rien faire pour le réparer ? 
-          non, désolé
-          une épitaphe alors ? 
-          ça, je peux »

Épitaphe de l’économe

Pauvre petit économe
Il eut une vie brève en somme
Toujours prêt dans le tiroir
En espérant seul dans le noir
Qu’on le mette à la lumière
Pour peler des pommes de terre.
Il était jeune et dynamique
Lame pivotante en céramique
N’étant pas sans rappeler
La Hauteclaire d’Olivier
Mais une patate de Roncevaux
Traitre, froide, dure de peau
La mine terreuse de félon
Rappelant si bien Ganelon
Et sans qu’on le mette en garde
Le brisa net à la garde.
Il tomba dans les épluchures
Sans un cri et sans une injure
L’âme droite amidonnée.
Et l’amie que dieu m’a donnée
L’a veillé jusqu’à mon retour
Moi, le poète, le troubadour
« Ne peux-tu rien faire pour lui,
Il est si jeune c’est inouï ! »
« Hélas non, il a passé
La patate s’est bien vengée,
Je peux accompagner tes plaintes
D’une épitaphe, d’une complainte,
Tandis que nous l’accompagnons
À sa dernière destination,
La poubelle, si ce n’est pas malheureux
De voir disparaître un tel preux
Et rappeler à la terre comme
Fut vaillant ton économe ».

Ma femme a bien ri. C'est important de savoir rire des petits incidents de tous les jours. Non ? 

mardi 13 septembre 2011

La beauté sous le défaut (II)

« Son sourire n’a pas de valeur, il est superficiel, elle le donne à tout le monde » voilà le commentaire d’un de mes amis sur le sourire de Kolaap, une charmante parisienne d’origine cambodgienne travaillant dans un des services de la tentaculaire multinationale qui m’emploie. Je dois reconnaître que les premiers temps que je la vis, j’étais parfaitement incapable de savoir si elle était belle ou non. J’aurais pu comme certains, comme tant d’autres devrais-je dire, traduire mon incapacité en un avis ferme et définitif et totalement péremptoire « C’est une crevette, tout est bon sauf la tête » ou une autre infamie du même genre. Mais je n’aime pas avoir d’avis définitif et en bon cartésien, j’ai foi dans le doute. Ma femme se moque régulièrement des secondes qui me sont nécessaires pour savoir si je veux une pomme ou une banane en dessert, alors pour décider de la beauté d’une femme, il me faut un temps infini, à moins de décider qu’elle est effectivement belle. Ne soyons pas avare de sentiments positifs. Et puis c’est une justice que je rends aux autres pour moi-même. En général, la première fois qu’on me rencontre, on ne me comprend pas, et je passe pour un ... et puis avec le temps certains s’aperçoivent que j’ai quelques qualités, et je deviens supportable voire mieux encore. Logiquement, je m’applique la même logique, j’attends le bon jour, le bon profil, le bon éclairage, la bonne humeur, le bon vêtement, le bon geste. Nous sommes comme des romans, des poèmes. Comment décider que le poème est beau, si nous n’en connaissons pas la langue. Je ne connaissais pas la langue avec laquelle son visage avait été écrit, ni ses yeux si étroits en contre-courbure avec son sourire, ni ses mains fines et j’aurais dû savoir si elle était belle ou non ? Et un jour où elle était ma voisine de rencontre, elle a dit bonjour à un collègue avec la bonne lumière, la bonne humeur, le bon geste. Ce n'était pas un hasard, je l'ai vue réitérer plusieurs fois ce petit miracle   :  

Le don

La beauté n’est pas cause de cette envie triviale
D’assouvir sur le champ une pulsion bestiale
Mais d’émotions profondes qui pleinement contentent
Et amènent l’esprit à une rare détente
Cet état merveilleux nommé contemplation
Voir à travers le temple une constellation.
Dans le jardin d’un cloître, l’âme au-dessus des toits
Le silence, la nuit, les yeux grisés d’étoiles
Se sentir si petit et si dense à la fois
D’un parfum de jasmin, de rose ou de lilas. 

Kolaap est capable d’amener cet état
Je me souviens très bien de ma première fois
J’étais dans un bureau relisant un papier
Un homme triste, gris, fatigué, se sentant laid
Passe dans le couloir. Voilà Madame Romain.
Il esquisse un geste pour lui serrer la main.
Mais elle lui sourit de si belle manière
Mettant de noirs diamants sous l’or de ses paupières
De sa main si fine, elle touche son épaule
Élégamment embrasse ce bien triste drôle
Comme ferait une amie. Dans ses yeux réjouis, fous   
Je crus lire ces mots « vous m’embrassez ? moi ? Vous ? »
À son visage heureux tout empli d’allégresse
Vous auriez dit un gueux aimé d’une princesse.
Et il est reparti, aux lèvres le sourire.
À le croiser ainsi vous auriez pris plaisir.
Moi, j’étais bouche bée, empli d’admiration
De la voir accomplir cette transformation
En moins de deux secondes et me dis en moi-même
En guise de voisine, j’ai une magicienne.  
J’avais déjà tant vu de ces tristes puissants
Vous tendre une main  plus molle encore qu’un gant
Ou bien ne saluant dans une compagnie
Que le pair reconnu ou bien la hiérarchie,
Dédaignant le petit, ou bien ces jeunes femmes
N’embrassant que les beaux, jugeant les autres infâmes.
Tant qui d’un bonjour font une humiliation,
Elle, magnifique, une illumination.
Si la beauté est bien cette intense lumière
Elle, elle en avait tant qu’elle donnait sans prière.
Si sa grâce de fleur rappelait le jasmin 
La bonté répandue en était le parfum
Et moi, j’étais heureux d’avoir pu contempler
Pour un si beau spectacle, un si chaste baiser.

Ce qui est donné à tous, est-ce sans valeur ? L’air nous est donné à tous, et sans air nous mourrons. Les mots, les mots nous sont donnés à tous, les hommes privés de capacité de dialogue deviennent fous parait-il. Celui qui donne à tous fait-il un don superficiel ou généreux ?
Certes ce n’était qu’un sourire mais un sourire, est-ce si peu ?
Elle est à toi cette chanson,
Toi l’étranger qui sans façon
D’un air malheureux m’a souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Que tous les biens intentionnés
Riaient de me voir emmené
Ce n’était rien qu’un peu de miel
Mais il m’a réchauffé le cœur
Et dans mon âme, il brûle encore
À la manière d’un grand soleil…
Du pain, du bois, un sourire, quel succès cette chanson, de l’essentiel rappelé à tous, donné à tous, généreusement.