mardi 13 septembre 2011

La beauté sous le défaut (II)

« Son sourire n’a pas de valeur, il est superficiel, elle le donne à tout le monde » voilà le commentaire d’un de mes amis sur le sourire de Kolaap, une charmante parisienne d’origine cambodgienne travaillant dans un des services de la tentaculaire multinationale qui m’emploie. Je dois reconnaître que les premiers temps que je la vis, j’étais parfaitement incapable de savoir si elle était belle ou non. J’aurais pu comme certains, comme tant d’autres devrais-je dire, traduire mon incapacité en un avis ferme et définitif et totalement péremptoire « C’est une crevette, tout est bon sauf la tête » ou une autre infamie du même genre. Mais je n’aime pas avoir d’avis définitif et en bon cartésien, j’ai foi dans le doute. Ma femme se moque régulièrement des secondes qui me sont nécessaires pour savoir si je veux une pomme ou une banane en dessert, alors pour décider de la beauté d’une femme, il me faut un temps infini, à moins de décider qu’elle est effectivement belle. Ne soyons pas avare de sentiments positifs. Et puis c’est une justice que je rends aux autres pour moi-même. En général, la première fois qu’on me rencontre, on ne me comprend pas, et je passe pour un ... et puis avec le temps certains s’aperçoivent que j’ai quelques qualités, et je deviens supportable voire mieux encore. Logiquement, je m’applique la même logique, j’attends le bon jour, le bon profil, le bon éclairage, la bonne humeur, le bon vêtement, le bon geste. Nous sommes comme des romans, des poèmes. Comment décider que le poème est beau, si nous n’en connaissons pas la langue. Je ne connaissais pas la langue avec laquelle son visage avait été écrit, ni ses yeux si étroits en contre-courbure avec son sourire, ni ses mains fines et j’aurais dû savoir si elle était belle ou non ? Et un jour où elle était ma voisine de rencontre, elle a dit bonjour à un collègue avec la bonne lumière, la bonne humeur, le bon geste. Ce n'était pas un hasard, je l'ai vue réitérer plusieurs fois ce petit miracle   :  

Le don

La beauté n’est pas cause de cette envie triviale
D’assouvir sur le champ une pulsion bestiale
Mais d’émotions profondes qui pleinement contentent
Et amènent l’esprit à une rare détente
Cet état merveilleux nommé contemplation
Voir à travers le temple une constellation.
Dans le jardin d’un cloître, l’âme au-dessus des toits
Le silence, la nuit, les yeux grisés d’étoiles
Se sentir si petit et si dense à la fois
D’un parfum de jasmin, de rose ou de lilas. 

Kolaap est capable d’amener cet état
Je me souviens très bien de ma première fois
J’étais dans un bureau relisant un papier
Un homme triste, gris, fatigué, se sentant laid
Passe dans le couloir. Voilà Madame Romain.
Il esquisse un geste pour lui serrer la main.
Mais elle lui sourit de si belle manière
Mettant de noirs diamants sous l’or de ses paupières
De sa main si fine, elle touche son épaule
Élégamment embrasse ce bien triste drôle
Comme ferait une amie. Dans ses yeux réjouis, fous   
Je crus lire ces mots « vous m’embrassez ? moi ? Vous ? »
À son visage heureux tout empli d’allégresse
Vous auriez dit un gueux aimé d’une princesse.
Et il est reparti, aux lèvres le sourire.
À le croiser ainsi vous auriez pris plaisir.
Moi, j’étais bouche bée, empli d’admiration
De la voir accomplir cette transformation
En moins de deux secondes et me dis en moi-même
En guise de voisine, j’ai une magicienne.  
J’avais déjà tant vu de ces tristes puissants
Vous tendre une main  plus molle encore qu’un gant
Ou bien ne saluant dans une compagnie
Que le pair reconnu ou bien la hiérarchie,
Dédaignant le petit, ou bien ces jeunes femmes
N’embrassant que les beaux, jugeant les autres infâmes.
Tant qui d’un bonjour font une humiliation,
Elle, magnifique, une illumination.
Si la beauté est bien cette intense lumière
Elle, elle en avait tant qu’elle donnait sans prière.
Si sa grâce de fleur rappelait le jasmin 
La bonté répandue en était le parfum
Et moi, j’étais heureux d’avoir pu contempler
Pour un si beau spectacle, un si chaste baiser.

Ce qui est donné à tous, est-ce sans valeur ? L’air nous est donné à tous, et sans air nous mourrons. Les mots, les mots nous sont donnés à tous, les hommes privés de capacité de dialogue deviennent fous parait-il. Celui qui donne à tous fait-il un don superficiel ou généreux ?
Certes ce n’était qu’un sourire mais un sourire, est-ce si peu ?
Elle est à toi cette chanson,
Toi l’étranger qui sans façon
D’un air malheureux m’a souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Que tous les biens intentionnés
Riaient de me voir emmené
Ce n’était rien qu’un peu de miel
Mais il m’a réchauffé le cœur
Et dans mon âme, il brûle encore
À la manière d’un grand soleil…
Du pain, du bois, un sourire, quel succès cette chanson, de l’essentiel rappelé à tous, donné à tous, généreusement.     

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