C’était gentil de la part de mon ami de m’apprendre tant en si peu de mots (cf. "la beauté sous le défaut" précédent). Rien que de très simple, mais je ne suis pas très malin, le nombre de mots qu’il me faut brasser pour comprendre ce que tant savent déjà d’éducation et dont j’ai ri –Ah le poème « le don du sourire » sur un papier incrusté de fleurs séchées, dans des cuisines où l’on souriait si peu. Quelle valeur pouvait donc avoir le sourire de Kolaap pour illuminer mes collègues, petits miracles que j’ai vu se reproduire quelques fois. Parmi toutes ces choses sans valeur, j’en cherchais une dans notre culture et associée au « bonjour » : j’ai trouvé la poignée de main. Cette poignée de main si peu hygiénique que la prochaine grippe aviaire remisera peut-être aux habitudes d’un autre temps. Ma femme qui travaille à l’hôpital ne serre déjà plus les mains. Cette poignée de main manque terriblement quand elle est attendue et qu’elle n’y est pas. Un petit geste de politesse, de politesse – polis (la cité), d’urbanité – Urbis (la vile), civilité – civis (la cité) à opposer au rustre – rus, la campagne, où l’effort qu’est la politesse, est inutile car l’éloignement suffit à nous préserver du conflit, de la pire des guerres, la guerre civile, celle qui nous oppose à nos frères comme des Abels et Caïns antiques mais toujours présents en nous, car la famille est toujours aujourd'hui le premier lieu de la violence.
À me promener ainsi dans le vocabulaire, de civilité, j’ai sauté gaîment à la civilisation, à la culture, celle de Kolaap venue du pays du sourire où même les Dieux sourient. Quels idiots ces Dieux à sourire sans raison. En tous cas c’est ce que j’avais appris, toute chose faite sans raison est idiote puisqu’elle n’a pas de raison. Néanmoins il est difficile à moins d’être d’une arrogance démesurée de balayer une civilisation d’un revers de préjugé. J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet et je n’ai rien trouvé, jusqu’au jour où j’ai fait l’expérience de sourire pour rien, sans raison, comme un con, seul dans ma voiture. Bizarrement la vie est devenue un peu plus agréable, le monde était le même mais sous mon sourire, ma vision avait changé. Comme si l’esprit et le corps était lié mécaniquement, être heureux amène le sourire mais le sourire amène aussi à être heureux davantage. C’était d’une puissance mesurée, comme de lever les yeux au ciel, de prier – oui malgré mon doute profond sur l’infaillibilité de l’église et de Benoît XVI, il m’arrive de prier, pour occuper mon esprit et m’éviter de ressasser vainement et sans fin des idées angoissantes. Efficace mais mesuré.
Pas de quoi faire un poème. Pourtant un jour, j’étais avec mon petit garçon qui avait un an et demi et qui est malade : retard de développement moteur d’origine inconnue. En quelques mots, il ne marchait pas, il ne parlait pas, et je le faisais travailler, à genoux, pas après pas avec ses pieds qui partaient dans tous les sens. Pas très euphorisant comme situation. Et ce samedi-là fut plus dur encore que d’habitude, j’étais fatigué de ma semaine, je ne voyais pas de progrès, c’était désespérant, j’étais désespéré mais je ne voulais pas craquer devant mon fils, si petit et si courageux. Prier ? ce n’était pas qu’une idée, c’était une immense lassitude au goût de terre humide et froide. Regarder le ciel, j’étais dans mon salon. Alors j’ai essayé ce petit truc que m’avait confié le Bouddha, ce niais qui sourit tout le temps même dans la mort, par l’intermédiaire de Kolaap, sans y croire. Mais pire encore qu’un sourire sans raison, c’était un sourire faux comme pas un, aux antipodes de ma pensée et un sourire sans valeur… et … et …et j’ai illuminé mon fils et l’amour que m’a renvoyé cet enfant qui voyait là un signe d’encouragement et de fierté de son père dans cet instant aussi désagréable pour lui que pour moi, était d’une force incroyable. La lumière de ses yeux amoureux a tout balayé. La peur, la lassitude et le goût de terre.
Ce jour-là, j’ai appris qu’il fallait savoir sourire sans raison pour avoir des raisons de sourire.
Laudamus
Kolaap.
Ton regard
Comme un glyphe noir
Un point d’interrogation tracé
Sur un fin papier froissé.
Tes yeux fendus
De peu il s’en fallut
Qu’hélas je ne m’y arrête
Et que le papier ne jette.
Tes yeux fendus
Me croiras-tu, je les ai vus
Enluminés sur les Corans
D’Iran.
Comment ce signe
Aile d’un cygne
Si loin m’emporte
Quand mon regard s’y porte.
Quelle magie est la tienne
En quelle langue magicienne
Sont donc écrits
Ces traits d’esprit.
Comment aurais je su
Que ton regard fendu
Était écrit
En sanskrit.
Dans la pierre
Dans l’écho des prières
Dans l’encens des temples
Ta beauté se contemple.
Comme toi
Malgré la mort des rois
Sur les murs d’Anghkor
Bouddha sourit encore.
Sourire toujours
Même le cœur lourd
Rendre aérien
L’esprit chagrin.
Au divin livre
De ton sourire
J’ai pris, je le confesse
Ma plus belle leçon de sagesse.
Kolaap
Et chaque fois
Que je te vois
Je me repais
De paix.
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