J’ai commencé par raconter l’acte de reconnaissance de mon état de poète, être appris par des enfants dans une école. Ingénieur, j’avais besoin d’être légitime comme poète avant de m’exposer sur la toile, mais je n’ai pas raconté l’impulsion qui me semble pourtant porteuse de sens sur ce qu’est la poésie.
Imaginez-vous au milieu de 50 collègues invités par vos soins, avec un individu, Michaël, votre filleul en entreprise, brillant, plein d’humour, apprécié de beaucoup, qui vous assène un discours où toutes vos particularités sont gentiment brocardées et qui se termine par « Chris, tu es le seul homme que je connaisse, qui prétende aimer les femmes pour leurs esprits ». À ce moment-là, vous avez plusieurs solutions.
La première est de ne pas relever et de laisser cette étiquette si classique de bite-sur-patte collée au front de l’ensemble des hommes présents et de femmes objets sur celui des femmes. Ceci n’est absolument pas raisonnable. Ni les uns ni les autres n’ont mérité cela et vous ne les avez pas invités pour qu’ils se fassent insulter, même avec le sourire et dans le sous-entendu.
La seconde est de contester cette affirmation péremptoire. Malheureusement dans un milieu masculin comme la mécanique, dans notre société moderne où les références sexuelles sont omniprésentes, le risque d’être traité d’hypocrite, de menteur, de niais, est extrêmement important. La moindre approximation peut déclencher le rire et à ce jeu la caricature sera toujours gagnante.
Si vous n’êtes pas trop niais justement, vous avez entendu venir la caricature avec ses gros sabots et vous avez pu vous préparer. Comment exprimer la beauté des femmes qui vous entourent sans provoquer le rire ? En utilisant le langage fait pour exprimer la beauté : la poésie. Celles des grands de préférence. Il y a toujours un écho poétique chez quelqu’un. Pour ne pas être trop long, je me suis restreint à mes plus proches collègues :
- Bopha, charmante femme d’origine asiatique, m’a toujours évoqué la seconde strophe du « serpent qui danse » de Baudelaire, l’évocation du levant, du voyage,
- Muriel, jolie blonde aux yeux clairs qui m’était presqu’inconnue, me soufflait des vers de Musset,
- Agnès superbe de douceur que j’avais connu dans la peine « Sois sage, ô ma douleur ».
- Manquait Christelle, danseuse ravissante qui avait pourtant tourneboulé nombre d’individus.
Pendant la récitation, il y a eu quelques interjections, d’étonnement, de surprise. À la fin de ce poème, il y a eu un silence, comme si des choses importantes avaient été dites. Il y avait de l’eau dans certains regards. Michaël a réagi plus tard, en me disant la mine un peu contrite « Toi seul a la puissance de faire ça », ce qui n’est pas plus vrai que la fin de son discours car nous avons tous la puissance de témoigner de nos véritables idées, nos expériences, mais cela le dédouanait surtout de sa soumission à l’idée qu’il se faisait du groupe. Si nous ne défendons pas nos idées et les gens qui nous sont chers, qui le fera ?
Certains m’en ont parlé à l’occasion, plus que la folie nécessaire pour le faire, ils en ont perçu l’énergie et la cohérence. J’ai appris ce jour-là, qu’il est possible d’aller très loin dans l’expression du sentiment, de la pensée à condition d’y mettre la forme et cela m’a servi dans des moments plus douloureux.
La poésie n’a pas pour vocation de mettre un petit ornement à la vie, mais bien d’en exprimer la beauté, la profondeur, la puissance, de se battre contre les préjugés pour se défendre et défendre ses valeurs, ses précieux. Vu l’énergie et le travail qu’elle demande, elle tient plus de l’art martial que de la dentelle.
La lumière du tableau
Vous prétendez, des femmes mesurer la beauté
Et c’est en centimètres que vous l’évalueriez,
Vous vendriez au poids les statues du Bernin
Les toiles de maître ? Comme du papier peint !
Ma muse n’est pas d’accord et me dicte à l’oreille
Cinq strophes maladroites pour quatre sans-pareilles
Afin de souligner que les femmes, ô merveilles
D’avec trois fois rien notre vie ensoleillent,
Que la beauté surtout est affaire de vision,
Non celle d’un désir, mais d’une contemplation.
Mais si elles se trompaient sur mes intentions
Et allaient m’en vouloir de mes déclamations.
Oh, je fais confiance en leur intelligence,
Elles verront dans mes vers ce qu’il y a d’innocence
On peut de l’harmonie aimer une chapelle
Sans pour autant vouloir en profaner l’autel.
Pour mon pauvre filleul, je veux être parrain
Le hisser sur les pointes de pieds d’alexandrins
Afin qu’il détache ses yeux de leurs rondeurs
Et admire des femmes enfin la vraie splendeur
La vraie richesse, l’âme, la lumière intérieure.
Ami, cessons d’entre nous la lutte fratricide
Écoute de notre service l’
Ephéméride.
Telle l’aube annoncée par le chant des oiseaux
Les rires la précèdent en leurs brefs échos
Puis Aurore réveillant de ses longs doigts rosés
La nature engourdie dans les plis de la nuit,
Elle frôle les esprits de sa belle ironie.
Humour, charme, grâce, tout est ici osé
Pour magnifier du jour la première lueur
Et faire d’un Bonjour, la plus douce des heures.
Et mon bureau s’éclaire d’un sourire lumineux
Que surlignent gaiement les arches de ses yeux
Par ma porte entrouverte, je vois poindre Bopha
Et le soleil se lève pour la seconde fois.
Sur ce visage, pas d’ombre, de la franchise,
L’or. Tout s’y lit, l’ennui, l’envie, la méprise
L’énergie, la gaîté comme en un livre clair
Parfois un sourire fuse. En un éclair
Tout s’embrase, crac, le feu suit l’étincelle
Qui jaillit brusquement dans les yeux de Christelle
À cet instant, Elle a, la beauté de l’enfance
Dont seules peuvent se parer les âmes innocentes
De l’heure de midi juste, la lumière éclatante,
D’un âge d’or antique sous un ciel de Provence
Que seuls viennent troubler les discrets bruissements
Des feuilles de l’Olivier(1) caressées par le vent
Agnès, ma belle Agnès, ne sois pas impatiente
Laisse-moi te parler de ces moments perdus
Ces histoires déjà mortes et pourtant palpitantes
Attend, Agnès, attend, j’attends l’heure suspendue
Où le soleil à l’ouest, n’est que braise orangée
Consumant les volutes que tracent à la sanguine
Des nuages élimés que le vent amine
Où au levant la nuit descend calme et bleutée
J’attends l’heure complice où le ciel te ressemble,
Où l’or de ton regard au roux soleil s’assemble,
Où ta douceur, du soir souligne l’harmonie
Pour calmer mon angoisse et ma mélancolie.
Comment chanter une beauté que je ne connais pas
De quelle étoile es-tu, Muriel, de quelle loi ?
Serais-tu de Venus, la première au couchant
Que les prêtres renomment étoile du Berger
Croyant par cette ruse enfantine en ôter
Tous les charmes, invincibles pourtant
Es-tu de la nuit noire, de la grande Ourse ?
Une amie des poètes, d’inspiration la source.
De la belle Artémis, cette farouche vierge
La lune en diadème, de la nuit le cierge.
A moins que d’Hadrien (2), Tu n’aies pris le modèle
Athéna, Le stoïcien n’avait d’yeux que pour elle
N’importe, Comme toute femme un mystère, si beau,
Un rêve doux et blanc tel le lait de ta peau,
Doré comme le miel de ta chevelure,
Un sanctuaire secret que scelle la Nature
Semblable en tout point à la terre promise,
Canaan, qu’au Sinaï, a tant rêvée Moïse
Que tous les philistins rêvent d’assujettir.
Mais que Josué seul, aura su conquérir.
Adieu et Merci,
J’aurai vécu heureux entouré de vos grâces,
Goûtant parfois ému, à ce trop rare miracle
Voir, Entouré d’aveugles, et le temps d’un café
La course du soleil sur un pays rêvé.
(1) Nom de son conjoint
(2) Nom de son fils