Le prêtre qui officia pour la crémation de mon père, m’a dit que bien souvent ceux qui parlent au sujet du défunt sont des personnes qui ne l’ont pas connu. J’ai vu ainsi des proches partir sans que nous partagions ce qu’ils étaient réellement, avec comme accompagnement de la douleur du deuil une brochette de platitudes. Je voulais autre chose pour mon père. En même temps je voulais porter la consolation à mes proches. Comment consoler de la mort quand nous ne croyons pas à la vie après elle : en notant la beauté de la vie et en notant ce qui survit à la mort, les valeurs, l’esprit. J’ai d’abord imaginé une expérience sociale, rappeler simplement nos prénoms, quasiment tous issus de saints martyrs. Peu d’entre nous s’appellent César, Napoléon, Clovis et tant Pierre, Paul, Jacques…Nous ne portons pas les noms des empereurs mais d’hommes morts comme des repris de justice mais innocents et porteurs d’un idéal d’amour et de justice. Ceci me paraît un signe de la force du spirituel sur le temporel. Quand quelqu’un disparaît son esprit nous reste… En revanche en réfléchissant un tout petit peu, j’ai réalisé que gloser sur de la « philosophie » dans de telles circonstances, est impossible, vous ne pouvez pas lire les yeux embués de larmes, énoncer de la logique la voix cassée par l’émotion. Mais réciter de la poésie, c’est possible, je l’avais déjà fait. Avec l’idée du prénom et des saints, m’est revenu comme une évidence la phrase du Christ « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église », et le texte suivant m’est sorti malgré l’émotion :
Mon père,
Un mot pour te rendre hommage
Aussi pour faire le partage
De cette peine si féroce
A chacun selon sa force.
Si tu ne devais nous quitter
Tu en prendrais bien la moitié
Toi qui fus toujours si solide
Le regard noir, l’œil impavide
A croire que très tôt, tu t’étais promis
Je suis Pierre et sur cette pierre, je bâtirai ma vie.
A tes proches si dévoué,
Tu les as tant de fois aidés
Souvent bonnes tes solutions
Ne souffraient pas la discussion.
Mais toujours là dans la tempête
Faisant front, lui tenant tête
Toujours à prendre ces décisions
Qui n’ont jamais l’absolution
Et ceci, ce n’était pas une peccadille
Tu es Pierre et sur cette pierre, tu as bâti ta famille.
La poste, travaillant avec toi
J’y ai aperçu ton aura :
« Je suis le fils de Pierre », ces mots
Un sésame. « Ah t’es le fils de Pierrot ».
J’ai dû attendre l’arrivée
De tes petits enfants tant aimés
Pour voir - tu leur laissais tout faire -
Ce que tu avais de lunaire.
Car la lumière jouent sur les pierres selon l’heure
Tu es Pierre et sur cette pierre, tu as bâti ton bonheur.
Car qui plus que toi fut heureux ?
Toi qui toujours fus amoureux
De celle qui t’es restée fidèle
Jusqu'à ta dernière étincelle.
Certains croiront à de la chance
Moi je crois à ta persévérance
L’honnêteté guidait tes choix
On le paye, mais cela paie aussi parfois.
Et je te donne raison ici
Tu es Pierre et sur cette pierre, tu as bien bâti ta vie
Et puisque je parlais de partage
Si j’examine mon héritage
Ce que gardent mes enfants de toi
Je ne suis pas déçu, ma foi.
Unis, serviables, persévérants
Travailleurs, Courageux, francs
Cette pierre de faite n’a pas de jeu
Ah si ! Gabrielle boude un peu.
Papa, ce qui reste des hommes, c’est l’esprit
Tu es Pierre et sur cette pierre, comme moi, ils bâtiront leurs vies.
Une chose que j’ai réalisé après coup : Mon père s’appelait Pierre, je m’appelle Chris et ma fille aînée Gabrielle, et pour le jour de son départ les paroles du Christ à Saint Pierre me reviennent comme une évidence et je les adapte à notre petite vie de petits français. Ce texte, ce thème n’est pas venu à mon frère, mes oncles, ma mère. Pourquoi moi ? Hasard ou harmonie ?
Le monde est paraît-il descriptible par des fractales, des motifs identiques, de différentes tailles qui se répètent : les galaxies sont des systèmes circulaires qui s’éloignent (avec un mouvement de rotation ?) autour du centre de l’univers. Les galaxies sont un ensemble de systèmes stellaires tournant autour d’un trou noir central, avec des planètes qui tournent autour d’étoiles. Ces planètes ont des satellites, des anneaux tournant autour d’elles, des atmosphères avec des perturbations qui ressemblent vues du ciel à des galaxies, et l’écorce terrestre tourne plus ou moins autour du noyau et jusqu’à la matière où l’électron gravite autour du noyau. Autre merveille des fractales, les choux-fleurs, les choux romanesco, les carottes sauvages – grosses fleurs constituées de fleurs moyennes constituées de petites fleurs – et nous ? Petits motifs répétés pour former un motif bien plus grand ? Pourquoi ferions-nous exception ? Oh rien de nouveau dans ce vertige Pascalien des deux infinis, dans cette harmonie pythagoricienne des sphères, simplement une justification de l’indécence du poète, de l’orgueil de Suetone « je suis homme et rien de ce qui est homme ne m’est inconnu », de la supplication de Villon « Frères humains n’ayez contre nous le cœur endurci, car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous merci », du sarcasme de Baudelaire « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère », de la sagesse de Lévinasse « L’autre est le plus court chemin de soi vers soi ». Et la source d’une profonde rêverie : si nous percevons le petit motif, ne peut-on imaginer le grand ? Les grands ? Le peuple chou, le peuple carotte… A quoi ressemble donc le champ de l’humanité ? Devons nous le voir comme un chaos d’individus ou comme un paysage, une prairie semée d’une multitude de plantes, de fleurs ? De quoi l’autre est-il donc le motif ? Quelle harmonie porte-t-il donc ?
Avec un peu de chance, il me reste quelques années pour faire des hypothèses, les vérifier par expérience, écrire ma thèse « du choux et de la carotte de l’humanité », je crains de manquer de temps pour un si long exercice, mais cela est tentant et peut être ma fille, mes enfants complèteront-ils le motif et l’esprit sera sauvegardé ?